Jules Verne et son classique de la littérature "Le tour du monde en 80 jours" ne pensait pas si bien dire. Le Suisse Bertrand Piccard et le Britannique Brian Jones ont enfin réalisé leur rêve. Ils ont accompli l’un des derniers exploits du siècle. C’est du moins le dernier des grands défis aéronautiques : ils ont bouclé à bord du Breitling Orbiter III le premier tour du monde en ballon sans escale, avant d'atterrir, après 19 jours, 21 heures et 49 minutes de vol. Ce vol ,le plus long de l'histoire, s’est achevé à Dâkhla dans le désert Egyptien, à 800 kilomètres au sud- ouest du Caire le 21 mars 1999 au matin. Ce record de plus de 45 755 kilomètres, réalisé à bord d’une nacelle suspendue à un ballon porté par les vents, est presque pour Bertrand Piccard une question d’hérédité. Il est, en effet issu d’une famille de scientifiques suisses où les hommes de trois générations ont, chacun dans son registre, accompli des exploits. L'Agence France-Presse qualifie les Piccard comme une dynastie de «savanturiers». Les deux aventuriers ont savouré le bonheur d'être poussé par les vents et d'être libre de les suivre en obéissant aux lois de la nature mais aussi à celle des hommes, gérant les refus de survol des autorités des pays comme le Yemen, la Chine ou l'Inde, en choisissant de continuer malgré tout.
Le
jeune Bertrand Piccard, aussi psychiatre tâte de toutes les disciplines de vol
libre, sans moteur : ULM, puis parachute, parapente, deltaplane.
Ce qui lui plaît dans les montgolfières ? Jouer avec les vents,
s'allier à eux, au lieu de les dominer et de les combattre, comme le font les
pilotes d'avion et les astronautes. Après avoir participé a une grande course
en montgolfière à travers l'Atlantique, Piccard trouve le spectacle si beau qu
‘il commence à nourrir un rêve : faire le tour du monde sans escale, sans
moteur, propulsé seulement par le vent. Sponsorisé
par Breitling, l'un des fabricants suisses de montres d'exception, il tente sa
chance à trois reprises.
Après deux échecs, la
troisième tentative du tour du monde a débuté au Château-d'Oex, en Suisse. L’aventure
commence le 1er mars à l'Hôtel de-Ville, au réveil des deux
pilotes. Ils descendent au terrain, découvrent le colosse de 55 mètres (la
taille de la tour de pise) gonflé dans la nuit.
Les conditions météorologiques sont favorables, mais le décollage est
mouvementé. les pilotes avaient peur d'assister au plus court vol du monde.
Pour chacun, ça aurait été une frustration terrible ! Des bénévoles
assuraient le cordon de sécurité autour du ballon et le public s'est montré
passionné, mais plutôt bon enfant -sauf peut-être les journalistes. Le ballon
a d'abord filé vers le sud avec comme objectif d’attraper les
« jet-streams », ces courants de vent que les météorologues
baptisent du nom évocateur de "courants-fusée" et qui circulent
entre 6 000 et 12 000 mètres d'altitude.
Premier problème au dessus de l’Égypte, interdiction de survol du barrage d’Assouan
dans un rayon de 50 km et les vents ne semblent pas en tenir compte;
heureusement le problème se règle à l’amiable entre l’équipe de Genève
et le contrôleur aérien égyptien. Un premier couloir de vent les fait
traverser le Sahara à une centaine de kilomètres par heure, autour de 7 000
mètres d'altitude. Mais cette course pour prendre les vents se complique
d'étranges méandres politiques.
Ainsi, le Yémen interdit
soudainement son survol, obligeant les routeurs météo à définir une nouvelle
trajectoire et une autre altitude. Il en est de même pour l'Inde avant que
coups de téléphone et fax ne fassent lever l'interdiction. L'Inde est un
passage délicat, car les aéronautes doivent se faufiler en Chine dans la zone
autorisée: au sud du 26 ème parallèle. Ce qui sera fait à près de 150 km/h.
Le ballon poursuit sa route, malheureusement trop souvent à basse vitesse, ce
qui entraîne une consommation excessive de carburant. Il
reste maintenant la grande difficulté aux deux pilotes: la traversée des
12 000 km du Pacifique.En survolant la fosse des Mariannes, Bertrand
Piccard a sûrement dû penser à son père Jacques qui, le 23 janvier 1960, a
été le premier homme à plonger à 10916 mètres de profondeur à bord d’un
bathyscaphe. Les deux météorologistes qui les conseillent à distance leur
demandent de ralentir sans attendre sous peine d'être stoppés net en plein
océan par une dépression. Redouté et interminable Pacifique: Une immensité
d'eau et l'absence de communications satellitaires (l'enveloppe recouverte
d'aluminium du ballon fait écran aux rares satellites géostationnaires de la
région), inquiètent les deux pilotes... Et si le jet-stream attrapé au sud
d'Hawaï les propulse à nouveau, il faut encore franchir des vents si
contraires au-dessus du Guatemala que l'abandon est envisagé avant qu'un autre
jet-stream n'emporte le ballon avec des pointes à 180 km/h vers l'Afrique...
Au-dessus du Mexique la direction du vent est défavorable, les pilotes
décident de tenter leur chance à 10 500m, le vent tourne dans la bonne
direction et la vitesse double… l’espoir renaît.. Au dessus de Porto Rico
les doutes renaissent, le risque du manque de carburant et de chute dans l’océan
se précise. Néanmoins le duo décide de continuer l’aventure plutôt que de
se poser et c’est la réussite ! Un passage à très haute altitude
entraîne une perte des communications pendant deux jours et une maladie des
voies respiratoires une angoisse difficile à surmonter.
Côté technologique le ballon est cinq fois plus grand que l'Arc de Triomphe,
composé d'une poche d'hélium de 18 500 m3 située au-dessus
d'une poche d'air chauffé au propane. La cabine pressurisée mesure 5,40 m de
long et si elle tient, elle aussi, de la Formule 1 des airs, les conditions de
vie y sont dures avec une moyenne de 8°C de température.
Tous ces jours passés ensemble ont fait naître une complicité entre les deux hommes. Bertrand Piccard a joliment résumé cela :
« Au début, on est des partenaires, au milieu des amis, et à l’arrivée des frères. »
Pour lui, «le but n’est
pas de faire le tour de la Terre. Le but, c’est de se sentir un petit peu plus
proche de notre planète et c’est ce que nous avons ressenti. Nous étions en
harmonie dans un espace minuscule. Nous étions dans un petit bout de
Paradis »
Poursuivant l’amour de l’altitude avec celui des profondeurs, Bertrand termine en disant : « la vie, c’est comme le ballon, il suffit parfois de se laisser pousser par le vent et de prendre de l’altitude, pour que tout aille mieux. »
Bien sûr, l'utilité d'un tour du monde en ballon est "relative" selon le mot de Philippe Tesson dans Le Figaro du 22 mars. Certes, "cette superbe performance collective devra beaucoup à la science mais elle n'apportera à celle-ci que de modestes contributions"... "Or", continue le chroniqueur, "c'est justement dans sa gratuité que sont la grandeur et la rareté de cet exploit." Un sentiment partagé par l'ensemble de la presse, dans laquelle se côtoient les termes "d'exploit" et de "rêve". Pourtant, ce tour du monde fut loin d'être une partie de plaisir. Après une dizaine d'essais ratés-tous avec un déploiement technologique digne de la conquête spatiale-dont deux pour l'équipe gagnante.
Puis le vol historique par le menu: les considérations de Bertrand et les pointes d'humour de Brian («Merveilleuse croisière: je suis invité tous les jours à la table du commandant, mais je dois partager la couchette avec un autre passager», faxe-t-il à son épouse) scandent le récit des difficultés à surmonter. Et ce constat final: «Il est évident que ce vol a changé ma vie. Cette expérience m'a débarassé d'une partie de ma réserve typiquement britannique, en laissant affleurer mes sentiments», admet Brian. «Voler autour de la Terre, c'est un peu comme serrer le monde dans ses bras. Je suis revenu de ce vol avec un plus grand respect pour la vie», analyse Bertrand.
Ce tour du monde permet aux Piccard de boucler la boucle, à Bertrand de rendre hommage à son grand-père, Auguste, le savant. «Je me suis senti guidé par une main invisible», déclare-t-il en arrivant en Egypte. Etait-ce celle du fondateur de la dynastie? En tout cas, les fans des «plus légers que l'air» qui font voler leurs petites montgolfières, chaque année, à la Saline royale d'Arc-et-Senans, dans le Doubs, voient en Bertrand l'homme qui a réconcilié la science moderne avec la nature. Et fondé une lignée de passionnés qui conjuguent science, conscience et aventure.
Pour Luc Le Vaillant, dans
Libération, toute l'histoire est "bien dans l'air du temps: mondialiste,
écolo, placide, l'exploit colle à l'époque. Le retour à un ordre naturel
impossible à contrarier. Bertrand Piccard, pilote et descendant d'une illustre
famille de scientifiques-aventuriers. Suisse et consensuel, psychiatre mais
partisan de démarches orientales, pionnier de la génération glisse (ULM,
parapentes, etc.)
Et d'insister sur cet aspect "glisse": "Armstrong ou Gagarine
"montaient" à la conquête de la Lune et des étoiles. Hillary ou
Herzog "grimpaient" sur les toits du monde. Tabarly ou Chichester
"luttaient" contre les tempêtes. Agressivité pour résister aux
éléments, engins pour s'arracher à l'attraction universelle. Au contraire,
les ballons sont des bêtes placides qui se déplacent en silence...
Métaphores, selon le journaliste, d'un monde où le volontarisme et la
contrainte sont devenus suspects. Pourtant, ni le courage, ni la persévérance,
ni le travail n'ont été absents. Pour preuve, l'excellente prévision des
météorologues. Exploit écolo? C'est France-Soir du 23 mars qui rapporte le
"langage humaniste" de Bertrand Piccard et les 500 000 dollars
(la moitié de la récompense) offerts à des oeuvres humanitaires.
"Cela sent son roman!" s'exclame l'Humanité, et même si tout cela
navigue entre sport, technologie et coup publicitaire, l'acharnement à établir
ce record du monde marque la fascination qu'exercent sur les hommes les rêves
non réalisés. Les voyages en ballon n'ont jamais été oubliés, les
perfectionnements techniques et les sommes qu'il est aujourd'hui possible d'y
investir, via le sponsoring, en expliquent le succès. Le XXe siècle
se clôturera-t-il sur un retour du ballon?
Bertrand
Piccard et Brian Jones ont été officiellement accueillis à l'aéroport de
Genève, en Suisse.
Le livre raconte l'aventure de l'intérieur, vue par ses deux héros. L'occasion d'évoquer trois ans de préparation et d'attente à Château-d'Oex, vues cette fois par les «figurants» dans les coulisses de l'exploit.
Pour Marco
Wahli (médecin et aérostier), «Bertrand a réussi à entrer dans la saga
Piccard. A la différence que les exploits de ses aînés avaient des
visées scientifiques, alors que lui s'intéresse à l'humain, voire à
l'humanitaire. Rêve d'enfant ou règlement de comptes ? Peu importe: ça a
permis de réaliser le dernier record aéronautique avec la plus ancienne
machine volante de l'histoire.» «C'était vraiment une immense entreprise,
conclut François Chappuis. Je suis assez fier d'avoir pu, à mon niveau, y
participer. Et s'il y avait une quatrième tentative ? Nous repartirions! Mais
je ne vois pas d'autre équipage le refaire. Le tour est fait et bien fait,
distance, durée: la barre est placée trop haut.»
Le célèbre aéronaute Bertrand Piccard racontera son histoire lors du Congrès
du CII à Copenhague.
3M Health Care, partenaire de longue
date du CII pour la fourniture de programmes d'éducation à l'intention des
infirmières des pays en développement, est le parrain de l'intervention de
Bertrand Piccard.Bertrand Piccard utilise les retombées financières et
médiatiques de son tour du monde pour lutter en faveur des causes oubliées et
négligées sur Terre. Avec son copilote, il a créé la Fondation Winds
of Hope (Vents de l'espoir), afin de contribuer à la lutte contre les maladies
peu connues affectant les enfants dans les pays en développement. Vous
trouverez des informations concernant cette Fondation en consultant le site web
: www.windsofhope.org.
Pour sa première action, la Fondation, en collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé, s'est penchée sur la lutte contre le Noma, une maladie peu connue qui défigure hideusement les visages de milliers d'enfants dans les pays extrêmement pauvres.
Après ce tour du monde, reste t il encore des défis à relever en aérostation? Oui, disent les spécialistes : un tour du monde en ballon stratosphérique, à une altitude de 50 km environ. Un environnement extraordinairement hostile, qui réclamera des technologies nouvelles.
Voler
en ballon est un art. On ne maîtrise que l’altitude. La direction du vent qui
vous porte en dépend et en conséquence vous savez d’où vous venez mais vous
ne savez pas à priori où vous allez. Les prévisions météorologiques seules
peuvent vous aider à prévoir votre trajectoire, d’où l’importance
primordiale de l’équipe de météorologues qui vous conseillent en permanence
et du terme et de la précision de leurs informations.
Pour
accomplir le tour du monde il a fallu créer une équipe, y associer des
sponsors et faire évoluer la technologie des ballons. Ce programme a
nécessité 4 années et la mise au point de trois types de ballons.
Le Conseil d’Etat a présenté ses vives félicitations aux aérostiers
Bertrand Piccard et Brian Jones à l’issue de leur extraordinaire exploit à
bord du ballon Breitling Orbiter 3 avec lequel ils viennent d’accomplir le
premier tour du monde sans escale de l’Histoire. Le gouvernement a tenu a
saluer la détermination, le courage et le talent des deux aérostiers qui, en
dépit des difficultés, ont su aller jusqu’au bout de leur rêve en s’entourant
d’une équipe performante.